^pour vous faire par de ma creation
car si l'on cree , c pas pour joué sois-meme , de plus ce que je voulais dire c que je l'avais mis en sachant que c nul
et d'autre par je pense , que on ne peut pas dire que le contexte en favorisait la compréhension. Cette leçon posait le problème du néant, mais pour les philosophies alors dominantes, l’idéalisme en Italie, le bergsonisme en France, le phénoménologie en Allemagne, le néant n’était pas un problème, tout au plus le terme d’une opposition logique. Je dois dire que lorsque je pris connaissance de ce texte dans les années trente, et malgré l’impression à vrai dire peu enthousiasmante que j’en reçus, j’étais loin de l’avoir vraiment compris. Heidegger lui-même ne fut peut-être pas tout à fait conscient de sa portée novatrice, si bien qu’il éprouva le besoin d’y revenir à plusieurs reprises. Après tant d’années, je crois qu’on peut finalement le considérer comme un pas décisif vers la réalisation de cette philosophie de la liberté qui fut le véritable programme de la philosophie moderne, de Descartes à Fichte. Ce programme, entravé par une limitation progressive du champ de la liberté dans le domaine moral et par le fait que le concept de liberté a été incomplètement débarrassé de celui de nécessité, n’a pas été réalisé et on peut même dire qu’il a échoué; mais, au terme de la philosophie moderne précisément, il s’est trouvé quelqu’un pour le relancer avec des propositions pleines de promesses: ce fut Schelling. Il faut espérer que du lien souterrain, mais très étroit, qui unit Heidegger à Schelling on puisse tirer des indications importantes à ce sujet, car on ne peut faire de la liberté un problème authentique qu’à la condition de la rapporter non pas à la nécessité, comme l’a fait de façon infructueuse la philosophie moderne, mais au néant, si opportunément évoqué par Heidegger.
Heidegger a remis au premier plan la question fondamentale: "Pourquoi l’être plutôt que le néant?", formulée pour la première fois par Leibniz qui, toutefois, pris entre la simplicité supérieure du rien et la perfection supérieure de l’existence, en reste sur le plan strictement métaphysique à l’invention du principe de raison suffisante. Mais la position de Heidegger est plus en accord avec la mentalité d’aujourd’hui, immergée dans l’expérience du nihilisme, sensible à la fascination du néant, envahie par l’angoisse de l’existence. En cela, Heidegger procède plutôt de Schelling, qui considérait que la question fondamentale était celle du "désespoir". C’est en suivant deux idées kantiennes que Schelling était parvenu à une telle conclusion: le sublime que l’on éprouve tout particulièrement en contemplant le ciel étoilé qui, comme image des espaces infinis, emplissait déjà Pascal d’effroi; et ce que Kant appelait "l’abîme de la raison", l’ivresse face à l’infini, l’étourdissement au seuil de l’éternité, le vertige au bord du gouffre qui s’ouvre lorsque l’on se représente dramatiquement en train de se poser une question inquiétante: "Tout vient de moi, mais moi d’où viens-je?".
Tout cela laissait Hegel indifférent: son identification du réel et du rationnel ne ménageait pas de place à l’abîme. L’idéalisme absolu, établi sur le concept d’être nécessaire, pilier fondamental du rationalisme métaphysique moderne, ne permet pas la moindre ouverture, ni pour le rien ni pour la liberté. Il n’est pas étonnant que Hegel ait été parfaitement indifférent à la contemplation du ciel étoilé: les astres lui semblaient une "lèpre du ciel", et les passages kantiens sur le sublime autant de "tirades" insupportables. De plus, son attention ne fut jamais attirée par l’extraordinaire passage de Kant sur "l’abîme de la raison", tout à fait insolite chez un écrivain aussi rationnel et précautionneux et, disons-le, quelquefois même sec et terne.
Face à ce rationalisme dur et compact, la perspective de Schelling et de Heidegger apparaît plus proche de l’esprit de notre époque, si attentive aux aspects obscurs et inquiétants de l’existence. Mais il faut à la fois débarrasser Schelling de toute préoccupation pour l’idée de nécessité subsistant encore chez lui, et Heidegger de l’épineux problème des rapports entre le néant, l’être et les étants; de telle manière que du premier provienne, dans sa pureté, le clair écho de la liberté et du second l’image précise et authentique du néant.
Pour retrouver l’idée de liberté dans sa pureté, il faut se référer aux catégories de la modalité qui sont, comme on le sait, au nombre de trois: possibilité, réalité, nécessité. Des trois, la plus importante est sans aucun doute la réalité. La possibilité n’est que l’ombre de la réalité qui en a été détachée et placée derrière; la nécessité est une réalité si lourde et obstinée qu’elle s’enroule autour d’elle-même et y demeure enracinée. La réalité au contraire est souple et légère, dépourvue de pressentiment antérieur comme de pesanteur intérieure, ni annoncée par le possible, ni fondée par le nécessaire. D’un côté, elle surgit, devançant toute attente et arrivant en avance, de l’autre elle n’a ni raison d’être ni poids qui l’entraîne et la fixe. Il ne suffit pas de dire de la réalité qu’elle est contingente, car cela renverrait encore à la nécessité et même à la possibilité. De la réalité comme telle on ne peut dire ni qu’elle est parce qu’elle pouvait être, ni qu’elle est parce qu’elle ne pouvait pas ne pas être. Elle est totalement gratuite et sans fondement: entièrement suspendue à la liberté qui n’est pas un fondement mais un abîme, ou alors un fondement qui se nie sans cesse comme tel.
On peut considérer la réalité en tant qu’elle est suspendue à la liberté dans sa gratuité ou dans son absence de fondement. Considérée dans sa gratuité, elle apparaît comme un surplus: don authentique provenant d’un geste de générosité, pur excédent devenu objet d’admiration. Qui la voit de cette façon se rend contemporain de la création et participe de l’émerveillement que Dieu même a éprouvé, son œuvre à peine accomplie, et que ne cesse d’éprouver l’auteur du psaume: Tu es Deus qui facis mirabilia [Tu es Dieu qui fais des miracles]. Considérée dans son absence de fondement, la réalité, en revanche, montre son côté obscur; la vie apparaît comme une condamnation qui provoque à la fois le remords d’exister et le regret de ne pas exister: mieux vaut ne pas être qu’être. Et le mh; fu`nai des tragiques et des lyriques grecs, le "mieux vaut ne pas être né" de Sophocle et de Théognis; le non nasci de Silène, le regret de Job de ne pas être passé directement du giron maternel ad tumulum, à la tombe, tout cela trouve un écho amer dans la poésie moderne et contemporaine: Pues el delito mayor/del hombre es haber nacido; Quel crime avons-nous fait pour mériter de naître?; ‘T’were better Charity: To leave me in Atom’s Tomb; Not to be born ist the best for man; el horror de ser y de seguir siendo. Pour ne rien dire du cri, terrible et terrifiant, qui retentit de Shakespeare à Conrad: l’Horreur, l’Horreur!, et sans oublier, en Italie, Leopardi qui, de ce thème soumis à un nihilisme total et lucide, a fait le centre de son inspiration. En soi donc, la réalité suscite en même temps surprise et horreur, angoisse et étonnement, de sorte que sa caractéristique essentielle est l’ambiguïté. L’autre face de l’être est le néant; l’ontologie est toujours accompagnée de la "méontologie" qui en est l’envers inséparable.
Qu’y a-t-il dans l’abîme de la liberté que la philosophie est appelée à explorer? Non seulement l’ambiguïté de la réalité, objet d’extase autant que d’effroi, mais aussi la duplicité de la liberté, tout à la fois positive et négative, désireuse de s’affirmer, de se confirmer et capable de se nier et de se perdre; la négation sous tous ses aspects, allant du simple non-être d’une limite première à la négativité absolue du mal, du néant agissant et actif au tourment de la souffrance; le visage ambigu de la divinité, à la fois Dieu du courroux et de la grâce, Dieu de la colère et de la croix. On se trouve en somme dans la situation dramatique de l’homme égaré dans l’ambiguïté seulement pleinement manifestée dans la pensée tragique, toute stérile opposition de l’optimisme et du pessimisme dépassée; ces termes mis sur le même plan sont liés entre eux, de sorte que l’on ne fait que rebondir de l’un à l’autre. Mais ce sont des catégories plus psychologiques qu’ontologiques, donc parfaitement insuffisantes pour interpréter la condition humaine.
_________________
http://viciousslugs.sup.fr/ <- Des imbéciles en action. Venez visiter, on recherche des lecteurs, des auteurs, et ça paye mal. En fait ça paye pas, mais ya moyen de se marrer.